Dominique Deblaine Bannzil littéraire
Dominique Deblaine                   Bannzil littéraire

 

Écrivaine et universitaire

De nombreux auteurs, écrivains et/ou théoriciens, ont écrit sur qu’est-ce qu’écrire, pourquoi écrire, comment peut-on écrire, qu’est-ce que l’imaginaire ? Mais, dans quelle mesure penser « à propos de », penser « à », penser « à partir de », peuvent-ils nous aider à être « dans », à créer de l’imaginaire, de l’irréel qui se veut du réel ? Les retours sur soi, les analyses, les théories, sont une chose, l’écriture fictionnelle en est une autre.

Je suis universitaire, je travaille sur la littérature antillaise, plus généralement sur la littérature postcoloniale, et j’écris des œuvres de fiction. Ces deux faces se nourrissent-elles l’une de l’autre ? Je répondrais, malheureusement, très peu. Les théories ne me servent pas à grand-chose dans l’action. C’est comme ce que disait Roland Barthes à propos de l’amour dans Fragments d’un discours amoureux. Si nous connaissons les « processus » amoureux que Barthes a si bien décrits, nous sommes malgré tout désarmés quand nous plongeons (ou sombrons) dans l’amour. Nous ne savons rien si ce n’est que tout est tourbillon, ritournelle, désir, mirage, exaltation, souffrance ; si ce n’est que notre cœur s’emballe, que notre esprit est envahi par « l’image » de l’autre.

 

Tout écrivain est singulier

Et voici la tonalité qui dirige, tel un chef d’orchestre, mon entrée sans cesse nouvelle/renouvelée dans  l’écriture : « Écrire sur l’eau » (Platon). Je ne sais pas si j’entends ces mots comme les pensait Platon, je m’en moque d’ailleurs, mais ils sont le La de mon inspiration, de mon écriture. Il y a des choses qui nous parlent, d’autres pas. Écrire sur l’eau me parle. C’est une harmonie-dysharmonie, une jonction-disjonction, un trouble caressant, enivrant et sauvage. De ces trois mots, écrire sur l’eau, émergent l’âcre, l’âpreté, le suc et le miel, ferments de mon être scriptural. Dans le même temps, je perçois qu’écrire sur l’eau est un acte sublime et insignifiant à la fois, car écrire est vraiment prétentieux, puisque j’écris parce que je ne sais rien, pour dire que je ne sais rien, mais que je cherche. Écrire dépend/ne dépend pas de moi. Je convoque le monde à ma table, je suis avec le monde et si loin de lui ; je convie les langues, leurs musiques ; j’invite les joies, les douleurs et les espérances. Je laisse filer ma plume sur l’eau, elle ride les mers et les océans ; je la plonge dans le ressac de souvenirs et d’a-venir, elle inscrit fugitivement des traces d’avant, de maintenant et d’après. De l’eau, je fais une sculpture de moi.

 

Le singulier et le pluriel

J’ai toujours pensé que l’amitié nous oblige et nous révèle. J’avais écrit un petit texte sur l’amitié pour un site d’amis amoureux de voile, passionnés de navigation, et je reprendrais ici ce que j’avais déjà dit :

« L’amitié a ceci d’extraordinaire qu’elle nous rend téméraires ; nous mettons nos espoirs sous spi. Au diable la frilosité, au diable la peur, au diable la tempérance ! Envoyez ! Nous aimons nos amis pour ce qu’ils sont ; nous les aimons sans savoir pourquoi au juste, mais tout nous paraît si juste avec eux. En amitié, c’est la quiétude et la pétulance de l’enfance ; c’est la folle assurance de tous les possibles. »

Si je parle d’amitié, c’est qu’elle est fondamentale, pour moi, en écriture. L’amitié en littérature, c’est une famille littéraire (une famille qu’on se choisit !), c’est-à-dire des imaginaires en dialogue, mieux en conversation. Me penser en connivence avec d’autres m’est doux, secourable, et ce rapport tient à distance l’illusion, voire la toute-puissance, de l’unique, de l’exceptionnel, de l’irremplaçable. De plus, elle atténue, sans la ruiner, la solitude inhérente à l’acte de création.

Une des finalités de la littérature comme le disait Edward Saïd est de « traiter de l’injustice et de la souffrance, mais dans un contexte largement inscrit dans l’histoire, la culture et la réalité socio-économique », demeure essentielle lorsque j’écris, puisque la question qu’interroge mon acte d’écriture est : « qu’est-ce que je vaux ? » ; le « je » étant pris dans le monde. Découvrir l’Homme, l’humain qui est en moi, ses forces et ses faiblesses, dans le souci de me grandir, de découvrir « un autre Moi-même », comme disait Paul Ricœur dans son livre Soi-même comme un autre. Mes obsessions sont l’attention aux humiliés, aux dominés, le souci de justice, le souci de l’autre.

J’entends également le souci de l’autre comme Souci de soi, pour reprendre Foucault, et comme le disait Spinoza, quant à la pensée et que je reprendrais volontiers pour la création, il s’agit de ne point fléchir face aux difficultés, de s’affranchir des préjugés, de s’abstenir de présupposés, de ne point faire œuvre de mauvaise foi, de se garder de dogmes antérieurs ou supérieurs à la réflexion ; en somme, penser à tout prix, même contre soi. J’ajouterai, écrire, même contre soi, car il y a, pour moi, une responsabilité dans l’écrit, peut-être même une posture à tenir, puisque rien n’est innocent.

Je m’accroche aussi à mes pluriels d’élection. Plus que le rapport géographique, il y a l’appartenance à un territoire, à un lieu, qui est une famille de pensée. Le lieu d’où l’on parle ne se confond pas avec le territoire, même s’il en relève. Des écrivains créent, imaginent, ou entrent, dans des familles littéraires, qui sont finalement des familles d’accueil, de compréhension, de chaleur, d’amitié, d’harmonie, de connivence, mais également de déstabilisation, d’interrogation.

J’ai d’abord lu avant d’écrire, bien sûr. Je vais ainsi vers des auteurs dont j’ai fait ma famille ; je cherche mes semblables, ceux dont la musique me bouleverse, m’émeut, me fait frissonner de joie et de peur. Avec eux, je cherche des accords majeurs mais aussi mineurs : des déstabilisations, des écarts, des chemins de traverse, juste pour voir si je ne suis pas sur le chemin d’à côté, si je suis où je ne suis/sais pas. Aller, en somme, à ma propre découverte, à la rencontre de mon image, reflet ou réel, qui se promènerait à côté de moi, tout à côté de moi, tout contre moi.

 

Le singulier de la musicalité des mots

Je suis de ces écrivains qui ne savent pas ce qu’ils vont écrire. Je me mets à ma table de travail, je mets une musique qui correspond à l’humeur du moment ou bien je suis à l’écoute du piano de mon mari. La musique produit alors une magie, me donne des idées, m’inspire comme l’on dit communément. Viennent alors des mots. Simplement des mots dont la musicalité me plait. J’aime les mots qui font frissonner, donnent des sensations. La sensation est à l’origine, et j’aime croire que pour écrire « il faut sentir comment volent les oiseaux » (Rilke).

 

Le singulier d’un lieu

Née à la Guadeloupe, y ayant vécu toute mon adolescence, l’histoire de cet espace culturel s’est inscrite en moi comme des pas sur le sable humide. Je suis donc de là, et de là j’imagine l’ailleurs, je l’entends. 

Mon île-natale, mon île-imaginaire, mon île-âme et l’Ailleurs se rejoignent. Si je vis à Bordeaux, j’écris avec non pas l’enfance mais avec les couleurs, les paysages, les senteurs, les hommes et les femmes de mon adolescence, de cet âge où l’on choisit, sans le savoir vraiment, les chemins de sa randonnée, de son errance amoureuse, tendre et terrible, dans le monde. Mélange des paysages, des langues, tableau géo-politico-culturel tel un métissage.

 

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© Dominique Deblaine