Véty
Nouvelle parue dans la revue
Riveneuve Continents n°12
2010
(Extrait)
Je suis restée deux ans chez Tatie pour aller à l’école, mais en vrai, j’ai fait que
balayer, nettoyer, astiquer, lessiver, éplucher, manger des restes et dormir dans la solitude. J’ai rien fait d’autre que travailler-travailler, porter des charges plus lourdes que moi, la course, la
course. À cause de ça, mes mains ressemblent à des épluchures. Deux ans et puis maman est venue me chercher. Elle a fait un scandale sans nom. J’ai pas tout compris, sauf que Tatie était une tatie
que dans la tête de maman, que j’étais pas sa parente, juste une Restavek. Je me levais encore plus tôt qu’à la maison. À trois heures du matin, je lessivais déjà, cuisinais, nettoyais, et puis après
j’allais sur le marché vendre des pacotilles que la sœur de Tatie, madame Sara, ramenait de ses voyages. J’avais pas droit d’aller à l’école, même juste l’après-midi, pourtant je voyais d’autres
fillettes qui y allaient. Et moi, jamais. Moi aussi, j’aurais aimé avoir un bel uniforme et de beaux rubans dans les cheveux, aller apprendre à l’école, et puis me reposer un petit peu aussi, mais
j’ai pas de belles nattes carapatées, je suis plus vilaine que les chiens maigres et pelés qui aboient toute la nuit. Maman voulait que quelqu’un s’occupe de moi, vraiment, prenne soin de moi, mais
Tatie voulait pas vraiment de moi. Je crois que je suis comme le caca du Bondieu. J’existe pas. Je sais pas pourquoi, mais mes prières donnent rien de bon, le Bondieu répond même pas aux tous petits
riens que je lui demande. Au contraire, il prend goût à nous faire souffrir.