Dominique Deblaine Bannzil littéraire
Dominique Deblaine                   Bannzil littéraire

 

Paroles d'une île vagabonde 

Editions Riveneuve

2011

 

 

 

 

Prix Fetkann - Poésie 2012

mémoires des pays du sud 

mémoire de l'humanité

 

Chronique-Recension 

Par Kathleen Gyssels - Prof. dr. à Antwerp University

 

http://www.potomitan.info/bibliographie/deblaine_dominique.php

 

(1er extrait - début du récit)

Et me voici, île frontière, deux pas d’homme, lieu insignifiant et incontournable de crépuscules affolants, de nuits sans fond, d’aubes stupéfiantes ; île calcaire et volcanique, tout entière offerte, concédant entrailles fécondes en pamplemousses, ignames, cythères et corossols, octroyant cascatelles éblouissantes en eaux bleues de baignade et consentant bombances, festins, répits et sommeils. Fragment d’archipel peuplé de sucriers matinaux, grenouilles nocturnes, malfinis diurnes, crabes senestres, me voici île territoire frétillant. Mêlant aux vivants senteurs d’allamandas jaunes et pourpres, de six mois vert six mois rouge, de baraguettes et de caféiers, splendeur des sabliers et immortels, douceur des palmiers céleri, des tamarins bâtards, et beauté des nénuphars, me voici île admirable sous la brise plus bruissante que palmes de cocoteraies, plus odorante que frangipaniers. Mes oiseaux aventureux, voguant de plaines en mornes, attisant des désirs mélancoliques sous la clémence de la lumière de décembre, chantent sans trêve la beauté de mes nuages tantôt pesants comme tortues molocoys en ponte tantôt légers comme colibri, louent la grâce de mes pâturages d’hivernage, s’émerveillent de mes offrandes, saluent ma munificence et ma mansuétude même s’ils s’affolent parfois de mon avarice et déplorent la défaillance de mes miettes d’herbes en carême.

 

(2e extrait)

Je ne veux plus enfouir mes secrets, je veux qu’on me connaisse dans mes heures fastes et moins glorieuses. Je ne voilerai plus ma bravoure, mes suffocations, mes capitulations et mes désirs aussi, car si j’ai un fort pouvoir de résilience, il ne faudrait pas me prendre pour une bourrique toujours prête à être bâtée et à subir tous les outrages. Je me languis d’un avenir bouleversant, quitte à surprendre les plus récalcitrants, quitte à les forcer à ne plus dire que je suis lente, hésitante, lunatique. Et pour clamer qui je suis, je reprendrai les mots du jeune homme aux quatre vents, je m’exclamerai : je suis de celles qui sont secouées par la houle, mais dans une eau si limpide qu’elle fait oublier tout effort, je suis aussi de celles qui s’aventurent dans des paysages qu’on dit parfois hideux mais qui font paysage. Ce sont des verrues sur ma peau que certains voudraient seulement douceur, couleur et saveur sapotille. Mais, je n’ai pas la peau d’un nouveau-né, des siècles se sont abattus sur elle avec leurs cortèges de fouets, de marinades, de saumure, de soleil et d’onguent. Elle prouve combien j’ai vécu, souri, ri, grimacé et pleuré.  Moi-même ! comme disent mes habitants. Moi-même ! Je ne suis pas de celles qu’on invente à son désir, qu’on pétrit à souhait pour mieux les posséder. Je suis d’une autre trempe ! Je suis de la trempe des flâneurs nostalgiques à l’image de certaines de mes rivières qui prennent le temps de traînailler avant d’atteindre l’océan gobeur insatiable. Parfois, je suis d’une suffisance, d’une vanité, d’une arrogance qui m’affolent, mais si je ne prends pas soin de moi… qui le fera ?

JE CONNAIS le bien et le mal,

          … et leurs mensonges.

JE CONNAIS les lois et la liberté,

          … et leurs mensonges. 

JE CONNAIS la raison et la passion,

          … et leurs mensonges.

JE CONNAIS la plénitude et le vide,

          … et leurs mensonges.

JE CONNAIS la joie et la tristesse,

          …et leurs mensonges.

JE SAIS ce qu’il en est de la faim, de la soif, de la douleur, de la supplication, du châtiment, du crime, de la vie et de la mort,

          … et de leurs mensonges. 

ON DIT

qu’on choisit soi-même ses douleurs, mais quand le déni s’est répandu sur moi, je n’étais plus consciente tant les coups s’étaient déjà abattus sur mon dos courbé et pourtant insoumis ; je ne savais plus ni mon nom ni mon âge ni qui étaient mes parents. J’ai tremblé de la tête aux pieds, j’ai roulé des yeux comme une bête débusquée, j’ai serré les poings, j’ai mordu mes lèvres, et mon sang s’est répandu sur la terre, lui donnant l’aspect d’une belle argile de potier. Des hommes ont pissé sur mon sang en riant, m’ont injuriée, ont saisi un fouet, m’ont impitoyablement scarifié le dos, les fesses, les cuisses, et je ne savais plus ni d’où je venais ni qui étaient mes parents, mes frères, mes amis. Le noir et le froid ont fondu sur moi tandis que le vent séchait ma peau. Et quand la lumière m’a de nouveau enrobée, j’ai cherché le lieu secret de la mort pour me dissoudre comme un arc-en-ciel quand la pluie agonise doucement.

 

(4e de couverture, établie par Rafael Lucas)

Île était une fois la Guadeloupe. Île était une voix, celle d’une île créole de la Caraïbe. Paroles d’une île vagabonde est une chronique hallucinante, un journal passionné et un récit géopoétique de la Guadeloupe, mêlant l’énergie du discours et l’intimité de la confidence. Ici c’est la terre elle-même qui s’est emparée de la parole et qui dit le vécu pluriel d’une île à l’histoire mouvementée. Comme dans un manuel de conscience naturelle, elle dit tout : le dépeuplement fondateur, l’esclavage, la vitalité identitaire, les volcans, les cyclones, les conflits, les conservatismes et les audaces, les errances et l’enracinement, les solidarités et les solitudes. La parole captatrice de ce paysage parlant a enregistré les merveilles d’une nature vigoureuse mais aussi les ratages et les ravages : « Sur mon territoire, tout prolifère et se délite. » Loin d’être enfermée dans l’éloge d’une créolité sûre d’elle-même, la parole de l’île dit longuement la complexité ambiante : « Moi, île bonté, île têtue, île refuge ; moi île alcool, île poussière, île boucan, île vomissure, île aux abois ; île lassitude, île solitude, c’est moi que l’on prend, que l’on pille, que l’on souille, que l’on fait sienne, puis qu’on roule dans la boue. Et mes ailes supportent le saccage, l’entassement, la frénésie terrifiante ».Tour à tour maternelle, indignée, sensuelle, enthousiaste, l’île parlante a parfois un langage d’une énergie césairienne : « j’exhale la vigueur de ceux qui ont survécu à l’indigne. »

C’est aussi une île à l’esprit caribéen, qui voyage et rend visite à ses voisines, dans une nouvelle traversée du milieu. Dominique Deblaine, jusque-là auteure de nouvelles douces-amères, a fait corps avec son île natale pour une « vagabondagerie vivifiante » de l’écriture antillaise, loin des nouveaux exotismes et des « fuyards sans marronnage ». Après Simone Schwarz-Bart, Daniel Maximin, Ernest Pépin et Max Rippon, elle vient d’ouvrir une nouvelle tracée dans la littérature antillaise.

 

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