Dominique Deblaine Bannzil littéraire
Dominique Deblaine                   Bannzil littéraire

Déshérance

Nouvelle parue dans la revue

Riveneuve Continents n°2

2005

 

 

 

(Extrait)
Il fifine sur les hommes en errance. Tout est calme. Le soleil en dérade a fait naître le coassement des grenouilles dans mon pays qui ne connaît plus de guerre et ne sait comment vivre la quiétude d’un paysage effroyablement merveilleux. Avec la bruine d’octobre, l’air est aussi tendre que des pensées amoureuses quand le serein recouvre les mornes, ralentit le temps, trouble le cœur, maquille les soupirs, et le vent doucement frais répand les senteurs de la terre humide qui enivrent les frégates attardées en bordure, entre terre et mer. Tout est calme. Il pleuvine sur mon île. Des jours durant, il clapote sur mon île-calcaire, il ravine sur mon île-volcan, et les arbres qu’on dit des voyageurs regorgent de sources, et la sphaigne s’épaissit, et d’insignifiantes cascatelles enfantent des bassins bleus aux reflets si stupéfiants qu’on croirait une nuée de libellules. De lassitude, les bœufs ne meuglent plus dans la savane, les cabris s’affalent sous les manguiers, les colibris désertent les hibiscus, les malfinis restent à terre et les sucriers ne savent plus faire bombance. En octobre, le calme se couche sur mon île qui exhale ses senteurs et accouche d’un paysage verdoyant. Les siguines luisent plus que jamais, les sabliers plus majestueux qu’en carême imposent leur frondaison, et l’on se demande que faire d’un tel paysage ? C’est étonnant comme tous les ans à la même époque la peur des vents dévastateurs s’envole aussi vite qu’elle était venue et comme elle transforme le territoire en consolation quand il a réchappé au ravage. Tout paraît si calme, si serein, que certains s’endorment en aveugle ; d’autres, à la manière des enfants, recueillent le silence des oiseaux. D’autres encore, tremblotant à la lueur criarde des midis, ne savent plus où mettre leurs pas et gémissent à en avoir la nausée.

Il fait calme sur mon île frontière deux pas d’homme. Il fait doux sur ce fragment d’archipel, sur cette déchirure d’océan où le temps s’éternise, où les hommes ivres de lassitude errent du matin au soir. Je connais cette hébétude que l’on prend naïvement pour une molle indolence. Je sais la tristesse, je sais l’ennui et je sais la torpeur. Comme elle est stupéfiante mon île alourdie par le temps ! Comme elle est amère mon île naufrage édénique ! Et comme elle est aimante mon île qui s’enracine bois balata, gommiers, immortels […]

 

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